Géraldine Dormoy

C’est au milieu de la fashion week parisienne et entre deux défilés auxquels elle avait assisté, que nous avions eu la chance de nous entretenir avec Géraldine Dormoy. Cette blogueuse/journaliste s’est faite repérer grâce à son blog crée en 2005, Café Mode. En 2009, son blog est édité par L’Express.fr, pour qui elle endosse également le rôle de chef de rubrique mode pour les pages styles. Rencontre avec une jeune trentenaire qui a le vent en poupe, et un talent de journaliste qui n’est plus à démontrer.

Bonjour Géraldine. Alors cette Fashion Week, pas trop la course ?

(rires) Si si, c’est un peu la fin d’une course. Je termine demain et je suis contente d’en voir le bout. C’est particulièrement fatiguant, mais je suis contente ! Il se passe toujours plein de choses pendant la Fashion Week. C’était une bonne saison, assez équilibrée, il n’y en avait pas que pour Paris, Milan était assez intéressante aussi.

Le plaisir et la découverte prennent-ils encore le dessus sur la fatigue ?

On marche à ça justement. On est fatigué jusqu’à ce qu’il y ait quelque chose qui nous excite et qui nous fasse oublier toute la fatigue, le temps de vivre et de réaliser notre métier/ passion. Donc oui, ça compte toujours, et on attend que ça. Quand on prend des photos de Streetstyle, que cela s’est bien passé avec les personnes et que l’on obtient de jolies photos, on est content pour la journée ! C’est le cas aussi pour un show qui décroche une émotion, un vêtement qui nous semble particulièrement beau…

Quel est votre plus gros coup de cœur jusqu’à aujourd’hui ?

En fait j’ai beaucoup aimé Jill Sander et Fendi. Mais cela a toujours besoin de se décanter, je ne me décide pas tout de suite, alors je ne sais pas encore mon coup de cœur pa- risien. Céline était très beau, mais ce n’est pas forcément un coup de cœur… Dries Van Noten était vraiment très bien. Oui, allez, pour un coup de cœur parisien, je peux dire Dries sans problème. Lanvin était super beau aussi, mais c’est toujours le cas !

Non, je confirme, Dries Van Noten. C’était touchant en plus car il y avait une attente qui était très forte parce que son dernier défilé était très commercial, il avait beaucoup plu. Il y avait quelque chose d’assez immédiat, on pouvait se réapproprier les silhouettes du défilé… Et on se demandait comment ils allaient réussir à faire mieux que ça. Et en fait, il a prolongé certaines idées mais en partant dans une direction beaucoup plus épurée, avec son procédé de tie and dye qu’on n’imaginait pas chez lui et en fait cela paraissait évident quand on les voyait sur le podium. C’était vraiment très beau, toutes ces chemises blanches… Cela me plaît, j’aime bien le vestiaire masculin.


Parlons de votre blog. Pourquoi ce nom « Café Mode » ?

Je trouve que l’idée de café rassemble, il y a un côté pause café. Je voulais que cela soit un lieu d’échange. Dès le départ, il fallait que ça soit interactif. Sans le lecteur, j’aurais perdu l’intérêt au bout de quinze jours ! Je suis quelqu’un d’assez dilettante en général, et là, je me suis surprise dans l’envie de continuer. Et au final, cela fait cinq ans, et c’est vraiment parce qu’il y a cette interaction avec le lecteur. Dans un café, il y a plein d’échanges, on rencontre des personnes que l’on ne connaît pas. Il y a ce côté break aussi, c’est fait sans prétention…

Comment vous est venue l’idée de créer un blog ?

À l’époque, en juillet 2005, j’étais passionnée de mode, mais mes amis n’étaient pas du tout branchés mode. Je ne savais pas avec qui échanger cette passion, et comme j’ai toujours eu un rapport très affectif avec Internet, je savais qu’il y avait forcément des gens quelque part sur la toile qui s’intéressaient à la même chose que moi. C’était un peu lancé comme une bouteille à la mer mais il y a eu des réponses très vite.

Pouvez-vous rappeler aux lecteurs de Pose Mag ce que votre blog proposait à ses débuts?

En fait, ça n’a pas trop changé, c’était un point de vue personnel sur la mode, il y avait déjà une partie Streetstyle, et plein de choses qui n’étaient pas forcément de la mode pure, mais qui pouvaient l’influencer, ou être influencés par elle, la    rubrique    « les films bien sapés », avec ce côté étude du costume pour en tirer des inspirations pour soi…

Ce qui s’est précisé au fur et à mesure, c’est le ton journalistique en fait, car je n’étais pas du tout journaliste au départ. Et en même temps, le ton journalistique que j’aime dans la mode, je ne le trouvais plus dans les titres de la presse féminine. J’avais envie de retrouver un vrai avis sur la mode, que je ne percevais plus dans la presse française.

Le contenu éditorial a-t-il changé lorsque votre blog a été édité par L’Express.fr ?

Je ne sais pas si c’est vraiment le fait que je sois arrivée à L’express.fr… Quand je suis devenue journaliste en janvier 2009, le blog a subi quelques modifications progressives, pour tendre vers un plus grand professionnalisme, comme tous les blogs d’ailleurs. On est une communauté qui mûrit forcément et qui peut conjuguer avec un ton certes très frais, mais qui reste très amateur pendant longtemps.

Un blog, c’est un peu une rampe de lancement, on dialogue, on expérimente plein de choses, on voit ce qui marche, ce qui plaît, ce qui nous intéresse de faire et au fur et à mesure on peaufine. C’est aussi ce qui s’est passé avec la photo. Les flous sont de meilleure qualité car il y a plus d’expérience et un meilleur matériel… L’Express a fait que je pense plus en journaliste maintenant, d’ailleurs, je ne me définis plus comme blogueuse, mon métier aujourd’hui, c’est le journalisme.

Avec Garance Doré, vous êtes un peu les « mères spirituelles» des nouvelles blogueuses. Est-ce une fierté pour vous ?

Ça, c’est vous qui le dites ! Il y a un côté ancienneté, je crois que je dois avoir le blog le plus ancien dans les blogs de mode, même à l’International, il ne doit y avoir que Diane Pernet qui est plus vieille que moi. Garance et les autres sont arrivées après, mais on est quand même toutes de la même génération, donc forcément, cela a inspiré d’autres blogs.

Moi, je suis très contente, je voulais que le blog inspire des gens, donc si c’est le cas, tant mieux. Après, je pense que sur Internet, on se nourrit tous les uns des autres. Il y a plein d’autres blogs qui m’influencent aussi, on fonctionne en réseau de toute façon, donc il n’y a pas une si grande fierté à avoir que cela.

Justement, lorsque l’on est blogueuse influente et journaliste comme vous, vous reste-t-il encore du temps pour lire d’autres blogs par plaisir ?

Je n’en lis pas énormément, ou du moins, pas autant que je voudrais. Tout dépend de ce que l’on entend par blog, parce que finalement, The Cut, le blog mode du New York Times, c’est un blog dans le format mais pas forcément dans le contenu et dans le professionnalisme justement.

Je suis tellement avide d’infos que je finis par être orientée vers des blogs comme cela, ou comme Fashionista ou Fashionologie, Jezebel, surtout Jezebel d’ailleurs parce qu’ils ont un ton qui est inimitable, c’est très rafraîchissant par rapport à ce que l’on voit en France. J’ai du mal à lire beaucoup de blogs français parce que je trouve qu’il y a plus de recherche sur les sites américains.

Sinon, dans les blogs plus persos, je continue à regarder Balibulle, Garance Doré, The Cherry Blossom Girl, quasiment tous les jours. Il y a aussi Sea Of Shoes, Jak & Jil, The Sartorialist, Fashiongonerogue, avec lequel on a plus besoin d’acheter de magazine, car on a tout le meilleur de la presse mode mondiale !

Vous couvrez désormais tous les plus grands événements mode (Fashion Week, Festival d’Hyères…). Comment est né ce succès ?

Je pense que j’étais là au bon endroit et au bon moment. Il y a de bonnes opportunités. Si je lançais mon blog aujourd’hui, je pense que les choses seraient complètement différentes. Cela serait beaucoup plus difficile d’émerger dans la masse de blogs, le marché est beaucoup plus dur. Je me suis lancée pile au moment où il y avait une attente, un système de mode qui était très sclérosé…

Je me suis engagée dans la brèche quand il fallait, et maintenant la brèche, il y a beaucoup de monde dedans ! Il y a ça, et il y a le fait que j’ai eu une vocation très tardive de journaliste. Maintenant que je le suis, je me rends compte que je suis faite pour cela. J’ai mis beaucoup de temps à y arriver mais il y a une sorte d’évidence de ce métier.

Je ne sais pas si c’est un succès, maintenant j’assiste à ces événements, mais je le vois aussi comme un travail, un travail extrêmement divertissant dans ces aspects là. Il y a l’esprit paillette qui fait rêver mais il y a un moment où on le dépasse un peu. C’est toujours du plaisir, mais moi mon but c’est de le faire le plus sérieusement possible, parce que rien est acquis.

Est-ce qu’on pourra voir un jour des articles de Géraldine Dormoy sur papier ou restez-vous une web journaliste dans l’âme ?

Je reste web dans l’âme, après on va voir comment le web va évoluer. C’est un média qui est très excitant parce qu’il est en perpétuel mouvement, tout y est plus rapide et il y a une réactivité que l’on a pas sur un support papier, même dans un quotidien, qui fait que je n’ai aucune envie d’aller sur le papier, mais je garde à l’esprit que le web va évoluer aussi et pour l’instant on est à une sorte d’âge d’or d’Internet. On est encore dans un côté assez artisanal, on nous laisse faire plein de choses, sans avoir autant de pressions publicitaires, d’audience mais je ne sais pas combien de temps cela va durer. Et en fonction de cela, je verrai.

Ce qui est le plus important pour moi, c’est ma liberté d’expression. Alors si plus tard, c’est sur le papier, j’irai, ou du moins, j’irai là où on me laissera aller ! Mais j’aurais toujours le blog, et cela, on aura du mal à me l’enlever !

Café Mode propose beaucoup de photographies prises par vos soins. Comment avez-vous appris la pratique photographique ?

Je n’ai jamais pris de cours, et je suis consciente qu’il y a encore pas mal de travail. Il y a quelque chose qui est très agréable, une sorte de franche camaraderie entre les Streetstylers, et du coup, j’ai beaucoup appris au contact de ces deniers. Il y a d’authentiques photographes parmi eux, il y en a d’autres qui ne le sont pas mais qui ont aussi tenté des choses et ils sont très généreux en conseil, en méthode.

Le fait de voir les gens travailler dans la rue permet d’apprendre beaucoup de choses. C’est donc en les observant pendant la Fashion Week, en discutant avec eux, en testant plein de choses avec des modèles très différents parce que dans la vie courante, on ne se retrouve pas avec des gens aussi variés, des styles divers, des mannequins… Là on a plein de modèles en une journée et l’on peut prendre une centaine de photos si on en a envie. C’est un terrain d’expérimentation extraordinaire et c’est comme cela que j’ai appris.

Et si on vous demandait de choisir entre le rédactionnel et la photographie ?

Le rédactionnel. Je suis journaliste, pas photographe. J’ai plus de choses à tenter dans l’écriture que dans la photo, qui est quelque chose que je ne prends pas au sérieux car j’ai conscience de mes limites.

Parlons un peu de mode. C’est quoi le style Géraldine Dormoy ?

Plus ça va, plus c’est dépouillé et discret. Je ne suis pas quelqu’un qui joue avec les vêtements. Je cherche mon uniforme et après je n’en bougerai plus. Ce n’est pas avec avec les vêtements que je m’amuse. De temps en temps, j’ai des envies, mais j’ai surtout l’envie d’être à l’aise et d’avoir confiance en moi et pour avoir cette confiance, il faut se sentir un minimum élégant, mais pas plus que ça !

La pièce préférée de votre garde robe ?
Mes Church’s ! Je ne suis pas très luxe dans ma façon de m’habiller, mais les chaussures, c’est mon péché mignon ! Les Church’s j’espère pouvoir les porter toute ma vie. Je suis quelqu’un qui a beaucoup de mal à se chausser, et depuis que j’ai découvert cette marque, j’ai réussi à avoir des chaussures qui à la fois se remarquent par leur élégance et qui sont confortables.

À l’heure où je vous parle, je porte un modèle que j’ai trouvé à Milan en édition limitée, noir avec plein de clous et toute la matinée, les gens n’ont pris que les chaussures en photo, c’était parfait ! (rires)

Vous publiez quasi quotidiennement sur votre blog et dans les pages Styles de L’Express.fr, dont vous êtes la chef de rubrique mode. Trouvez-vous encore du temps pour faire une «pause» de temps en temps ?

Non, j’ai un peu de mal ! (rires) Mais en même temps, avoir un blog c’est aussi un art de vivre donc on ne peut jamais complètement décrocher. Il y a des fois où j’aimerais pouvoir tout lâcher mais en même temps, je suis contente d’avoir toujours ce fil à la patte qui fait que j’écris tout le temps. Je trouve que c’est une bonne discipline, et je crois beaucoup à la discipline.

Je suis quelqu’un d’assez paresseux de nature et la meilleure parade à ma paresse c’est justement d’avoir trouvé des garde fous comme mon blog. Ce blog est une discipline de chaque jour, qui ne nous autorise pas forcément beaucoup de pauses, mais je pense qu’il n’y a que comme cela qu’on progresse.

Enfin, pouvez-vous nous dévoiler quelques petites exclus sur vos prochains projets ?

Je ne fonctionne pas trop par projet. C’est pour cela que je suis très contente d’être à L’Express car tous les blogueurs qui marchent bien sont souvent indépendants, en freelance et donc ils marchent aux collaborations, aux projets… Et non, moi je n’ai rien à vous annoncer et je suis très contente de cela parce que je n’ai pas envie de m’éparpiller.

Ma mission, c’est de faire de L’Express Styles un beau site mode, intéressant, riche, qui apporte une culture de mode aux gens, qui leur apporte des conseils pratiques, des repères, une mode accessible. Et sur mon blog, c’est réussir à entretenir ce lien de connivence avec mon lectorat. Je n’ai pas envie de faire des collaborations avec des marques. À chaque fois qu’une marque m’approche pour me parler d’un truc, cela me crispe, j’ai toujours une bonne raison de refuser.

En plus il y a une mode de la collaboration, et je me méfie massivement de cela. J’ai envie de me concentrer sur ce qui me paraît essentiel, et cela me prend déjà suffisamment de temps.

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Franco-hollandaise, Laurence pratique dès l’enfance la danse, le piano et le chant au conservatoire d’Angoulême. Ses premiers pas dans le monde artistique la poussent spontanément à regagner Paris, en 2003, pour poursuivre dans cette voie. Elle s’inscrit au Studio 34 (École de théâtre), mais ne néglige pas pour autant ses études de sociologie et de sciences des médias. Une chose est certaine : elle aime faire rire ! Laurence se lance alors dans l’écriture de son one woman show, se met en scène et interprète son spectacle en 2006 au théâtre Le Bout. Très vite repérée, Laurent Ruquier l’engage pour sa nouvelle pièce « Open Bed » aux Bouffes Parisiennes. S’ensuit une collaboration avec Dominique Farrugia sur TPS Star, dans l’émission « Le Soiring », aux côtés de Manu Payet et Bruno Guillon. En 2009, Dominique Farrugia produit lui-même son nouveau talent du rire, au théâtre des Blancs Manteaux. 2010 la mènera au cinéma où elle fera ses débuts dans une comédie romantique « L’amour c’est mieux à deux » de Dominique Farrugia (encore et toujours !) et d’Arnaud Lemort. Humoriste et désormais actrice de talent, elle enchaînera ensuite dans « Moi, Michel G, Milliardaire, Maître du monde » de Stéphane Kazandjian et dans, « Un jour mon père viendra » de Martin Vallente.

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